L’orthographe est une sorte de code qui permet de retranscrire une langue orale. Au même titre qu’une partition et ses notes transposent une mélodie. L’écriture des mots est en constante évolution et cet outil est vite devenu source de jugements et de prestance sociale. En France, ce moyen donne du fil à retordre à toute personne qui souhaite s’en servir selon les bons usages. Voici un petit manifeste qui bouscule l’orthographe, même si je la porte (un peu, pas toujours) dans mon cœur.
L’orthographe : de l’appréciation personnelle à la rigueur sociale
Liberté d’écriture : « c’était mieux avant »
Avant le 17e siècle, chacun couchait sur le papier les mots à sa manière. Les auteurs et autrices (peu nombreuses à l’époque, mais soulignons leur présence malgré tout) pouvaient jouer avec les expressions comme bon leur semblait. Cela n’empêchait en rien la fonction première de l’écriture : la communication et la transmission des savoirs.
Molière, dans la toute première version de son livre Misanthrope, n’y mettait pas de « h », ni même dans orthographe ! Alors, la langue de Molière ne respecterait donc pas… la langue de Molière ! Les éditions furent modifiées au fil des impressions, sans pour autant en changer le sens.
Certaines règles compliquées viennent de contraintes historiques. Les conditions d’écriture des moines au Moyen Âge (impossibilité de modifier une terminaison quand le sujet arrive après le verbe ou l’adjectif, place limitée, etc.) ont pour résultat des accords plus ou moins aléatoires. Ces fluctuations sont désormais ancrées dans notre Bescherelle, comme si tout cela était logique. Oui, je parle de l’auxiliaire avoir, celui-là même !
L’orthographe de la plupart des livres français est ridicule… L’habitude seule peut en supporter l’incongruité.
Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764
Académie française et consorts : merci, non merci
Au 17e siècle, Richelieu (ne le remerciez pas, non, vraiment) centralise l’État. L’écriture et ses règles sont instaurées pour séparer la noblesse, qui pouvait accéder à l’éducation, des pauvres, illettrés. Principal suspect : notre chère Académie française (composée du nombre honorable de : zéro linguiste) qui aurait compliqué la chose dans le seul but d’empêcher les classes sociales inférieures de profiter de ce savoir. En 1684, ses membres ont même pris soin d’écrire dans les cahiers préparatoires du tout premier dictionnaire « l’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ». Alors clairement, ne venez plus dire que toucher à la graphie c’est courir à la perte du monde, merci.
L’orthographe, divinité…des sots.
Stendhal, Lettre à Pauline, 1804.
Orthographe : je t’aime, moi non plus
Au 19e siècle, les règles orthographiques prennent une réelle importance sociale. Elle sont érigées au titre de patrimoine historique. L’orthographe, tout particulièrement dans la langue française, est une compétence délicate à maîtriser. À l’école, nous sommes nombreux à avoir eu du mal à retenir certaines règles, à subir les soupçons de dyslexie de l’un de nos enseignants, ou l’une de nos institutrices. Toutefois, nous avons fini par intégrer les principales normes et parvenons à terminer nos textes sans grandes difficultés.
Tout le monde, ou presque, a déjà souffert du jugement de son écriture et de ses fautes d’inattention. Et pourtant, nous ne sommes également pas en reste pour rabaisser les autres pour leurs erreurs d’orthographe. Ces dernières discréditent n’importe quel discours. Elles sont même la cause fréquente de refus pour une embauche.
Épargnons ce temps si précieux qu’on dépense trop souvent dans les vétilles de l’orthographe, dans les règles de la dictée qui font de cet exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête chinois.
Jules Ferry, Discours au Congrès pédagogique, 1880.
L’écriture : de la France au Japon, en passant par la Turquie
La France : les Shadoks de l’orthographe
« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » scandaient les Shadoks. Eh bien, nous avons fait de même avec la retranscription du français. Elle est l’une des langues les plus complexes à apprendre. Nombreux sont les étrangers qui peinent à retenir les règles de langue de Molière. En français, le son /s/ peut s’écrire de douze façons, et la lettre « s » peut être prononcée de trois manières. À vos souhaits !
Érigé comme seule origine du français, le latin laisse dans son ombre l’italien et l’arabe (entre autres). Dommage, nous aurions pu avoir des cours de français bien plus simples ! Pourquoi tenons-nous tant à l’esthétique actuelle des mots ? Le principal n’est-il pas d’être compris ? Pourquoi n’acceptons-nous pas certaines modifications, alors même que certaines orthographes ont été complexifiées au cours des deux derniers siècles ? Le dialecte du Hunan, en Chine, nous le prouve bien, les seules langues qui disparaissent sont celles que l’on cesse d’utiliser.
C’est en forgeant qu’on devient musicien.
Les Shadoks
À l’étranger : les rois de la logique
Par delà les frontières, la calligraphie et l’orthographe semblent souvent beaucoup plus simples. Mettons la Chine et le Japon, notamment, hors concours. Un même symbole peut signifier plusieurs choses et un son identique, selon son accentuation, pourra vous faire passer du coq à l’âne.
En turc ou en finnois, par exemple, les mots s’écrivent le plus souvent tels qu’on les entend. Et cela simplifie la vie de tout le monde. Sauf peut-être celles des aristocrates qui ne peuvent plus se targuer d’être les seuls à savoir lire. Mais bon, ça va, à défaut de partager leurs richesses, ils peuvent bien prêter leurs bouquins non ?
En italien et en espagnol, l’orthographe n’est pas aussi facile et logique, mais bien loin des règles stupéfiantes du français.
L’orthographe est le cricket des Français. Le cricket et l’orthographe ont en commun d’être incompréhensibles aux étrangers, sans parler des indigènes.
Alain Schifres
Le français : du SMS aux correcteurs orthographiques
Évolutions et scandales
De nos jours, l’orthographe connaît de multiples restructurations et modifications, qui ont provoqué de nombreuses réactions :
- soupirs victorieux (enfin, on peut écrire plus simplement !) ;
- râles angoissés (on n’y comprend plus rien !) ;
- grognements de dégoûts (des années à retenir ce mot, pour devoir l’oublier maintenant !).
Qui va vous dédommager des coups de règles sur les doigts que vous avez subis lors de votre primaire ? Pas de suspens, je vous donne la réponse : personne. Débrouillez-vous avec ça. Soyez heureux pour les nouvelles générations qui pourront passer du temps à apprendre et découvrir le monde, au lieu de chantonner « hiboux, choux, cailloux, etc. ».
L’orthographe est plus qu’une mauvaise habitude, c’est une vanité.
Raymond Queneau
L’orthographe va-t-elle devenir superflue ? Quelle est la limite entre la simplification, la compréhension et l’Histoire ? Malgré cette prise de conscience, nous sommes si nombreux à juger la valeur d’une personne selon ses fautes : les règles absurdes ont encore de beaux jours devant elles.
Et rassurez-vous, la version « old school » de nombreux mot reste encore acceptée. Oh ! Mais qu’entends-je ? Un anglicisme ! Le français est vraiment mort ma bonne dame.
La technologie et l’orthographe
Tout comme la technologie a modifié les mathématiques, ne va-t-elle pas donner de nouvelles perspectives à l’écriture ? Depuis que les calculatrices se sont fait leur place sur nos tables d’école, et au travail, le calcul mental perd de sa superbe et il aujourd’hui tout à fait conventionnel de sortir son téléphone pour compter. Qui n’a d’ailleurs jamais bêtement dit « ah, bah oui » devant un résultat si évident que l’on s’étonne de l’avoir tapé et non quantifié de tête ? Alors… Au tour du français ! Avec l’arrivée des correcteurs automatiques, des logiciels de correction orthographique et des IA qui écrivent ce que vous leur dictez : l’orthographe ne serait-elle pas le calcul mental de demain ?
L’orthographe ne fait pas le génie.
Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839.
Gardez en mémoire que critiquer la simplification d’un terme ou soutenir la conservation d’un principe incombe à promouvoir des normes imposées par de nobles hommes (tout sauf linguistes) voulant flatter leur égo et se démarquer du reste de la populace.. ion (Ah. Ah. Ah.). Alors, vous avez toujours envie d’empêcher l’accord de proximité de revenir parmi nous ?
Dites-moi en commentaire les mots que vous n’arrivez pas à abandonner, ou les règles à qui vous aimeriez faire la peau ! Personnellement, « clef » demeure un automatisme que j’ai du mal à désapprendre.
- La faute de l’orthographe – Arnaud Hoedt et Jérôme Piron – TEDxRennes ;
- Voltaire, au secours ! – Frédéric Deloffre ;
- Textes, publications et podcasts des Linguistes Attéré(e)s ;
- Images réalisées avec Ideogram et Canva.
Super, je fais pouvoir décomplexer (merci l’Hisoire !). Par contre, Jeannine a pas l’air commode (ou comode ou komod)…
Jeanine n’est pas komod 😁, elle ne fait pas rire les mouettes : elle marrave la gueule des fautes d’orthographe. 🤣
Sortez tous une feuille, c’est l’heure de la dictée !!!
Mais on écrit avec le stylo plume, le stylo bille ou le porte-mine madaaaaame ? ^^
Trop chouette ton article, et joli parallèle ! Et d’ailleurs concernant les correcteurs, on ne peut même pas leur faire confiance (déso Jeanine). Perso, moi je me bats régulièrement contre le mien (entre les mots qu’il me remplace sans me demander mon avis, les fautes de grammaire qu’il me suggère ou son aversion de la moitié des mots qui commencent par « re » (resupporter, represcrire…) il faudra qu’on m’explique ça un jour, d’ailleurs…).
Et par dessus le marché, on a l’écriture inclusive maintenant et toutes ses variations. L’académie de défense-des-bonnes-lois-de-comment-on-doit-écrire-et-penser-la-langue a du souci à se faire ! 😁
En bref, on est pas sorti-es de l’auberge 😆.
Merci 🙂
Rooooh Jeanine ! J’avoue que les mots en « re » c’est pas encore ça.
En attendant de sortir de l’auberge : allez viens, je t’offre un Perrier tranche !