*Rah rah ha ha ah roma roma-ma gaga oh la-la want your bad romance, BLABLA OUH LALA ROMAROMAMA, gaga c’est bien moi, j’en peux plus de cette m*. Ça fait 12 heures. 12 heures que ce petit bout du refrain de Lady Gaga tourne en boucle dans votre esprit. Félicitations, vous êtes sous le charme d’un ver d’oreille ! L’objectif ici : répondre le mieux possible aux questions que vous pourriez vous poser sur ces « chansons velcro ». Alors, que sont les vers d’oreille ? Comment ça fonctionne ? Comment s’en débarrasse-t-on ? Ne perdons pas plus de temps, on a du boulot ! *Hé ho, hé ho, on en a du boulot*. Je vous en collerai peut-être un ou deux supplémentaires dans le crâne au passage mais, eh, *you will survive*.
L’Imagerie Mentale Musicale Involontaire : quand le cerveau se passe de votre avis
Commençons par la base : qu’est-ce que ce très long nom de concept scientifique ? Prêtez-y attention deux minutes, vous allez voir, c’est passionnant.
Commençons par l’imagerie mentale musicale tout court. Quand vous lisez ceci : « mon beau sapin, roi des forêts, que j’aime ta verdure », vous avez probablement entendu la mélodie dans votre tête. C’est cela, l’IMM : écouter de la musique en soi, sans avoir de vibration du tympan.
À présent, imaginez une personne connaissant le solfège et déchiffrant la partition de cet insupportable ce délicieux chant de Noël. Pour elle, la lecture des notes se traduirait en musique et en tempo directement dans son cerveau. Nous serions face ici à une forme d’imagerie mentale musicale volontaire (car souhaitée consciemment).
Revenons-en à nos *blancs moutons* : qu’est-ce qu’une image mentale musicale involontaire (IMMI) ? C’est un processus de cognition spontanée (cela apparaît tout seul dans le cerveau) comme le monologue interne. Dans le phénomène qui nous intéresse, c’est une boucle. Un extrait court d’un morceau qui tourne sans arrêt dans votre esprit. *Ba-by shark, doo doo doo doo doo, baby shark, doo doo doo doo doo, baby shark. Mo-mmy shark, doo doo doo*. Vous n’avez pas décidé de son arrivée, vous ne pouvez ni le contrôler, ni l’arrêter uniquement par votre volonté (sinon vous l’auriez fait depuis longtemps) ! Vous voilà coincé-e avec un ver d’oreille bien dodu.

Anatomie du ver d’oreille : le forficula auricularia accusé à tort
Connaissez-vous la légende populaire qui dit que les perce-oreilles entrent dans vos oreilles pour ne plus en ressortir ? « Ver d’oreille », earworm en anglais, est la traduction littérale de l’appellation allemande de cet insecte, « Ohrwurm ». Pour la petite histoire, on parle également de « musical itch » (démangeaison musicale) dans la langue de Shakespeare et de « chanson velcro » chez nos amis Québécois.
Outre les caractéristiques citées plus haut, les équipes de recherche ont constaté que ce ver -qui n’a donc rien à voir avec l’insecte- pouvait naître de tous les genres musicaux et qu’il touchait 98% de la population occidentale. Quant aux morceaux qui finissent dans notre playlist mentale, ils sont difficiles à prédire. Il a tout de même été remarqué qu’ils avaient souvent un tempo soutenu ainsi que des différences de hauteur de notes marquées. D’ailleurs, il existerait des tops des chansons contenant les boucles les plus obsédantes : vous les retrouverez dans les discographies de Lady Gaga, Katy Perry ou encore La Compagnie Créole…
Une étude de 2011 a identifié 4 principaux déclencheurs d’IMMI :
- L’écoute récente de la musique en question (écouter 50 fois d’affilée votre morceau préféré ne va pas vous aider sur ce coup-là).
- Un état émotionnel ou une humeur particulière (la bonne humeur, édition 2012 : *hey, i just met you -toudoum- and this is crazyyyy, there is my number, so call me maybe*).
- Une association d’idées (j’arrive, je me lève ! – *Et je te bouscule, tu n’ te réveilles pas, comme d’habituuuuudeuh*).
- Un état d’attention basse, des pensées vagabondes (*c’est l’histoiiiiiire de ma viiiiiie, le cycle éternel*).
« Mais alors, si ça vient du cerveau, comment cela fonctionne ? », vous demandez-vous. Vous êtes de type curieux, nous pourrions bien nous entendre ! *Allez venez Milord, vous asseoir à ma table, on va regarder ça de plus près, vous verrez c’est remarquable*.
Le phénomène de boucle musicale : ce que dit la recherche
Qui a le plus régulièrement des vers d’oreille ? Dans une étude de 2015, l’équipe de recherche a pu établir des corrélations entre l’épaisseur de certaines zones du cerveau et une plus grande fréquence de l’apparition des IMMI. Je n’ai pas l’intention de vous perdre avec des termes compliqués. Retenez simplement que ce qui diffère dans le cerveau des hôtes de colonies de earworms, ce sont des zones cérébrales servant à traiter l’interprétation, l’imagination et la mémorisation des sons. Et qu’une autre aire impliquée dans le processus ferait partie d’un réseau neuronal qui serait lié à l’activité spontanée.
Toujours par corrélation, quelques traits ont pu être dégagés chez les personnes habitées par ces mélodies intérieures : notamment la propension à faire preuve d’ouverture d’esprit, à la rêverie et à la névrose. D’autre part, les personnes âgées auraient tendance à en avoir moins. Elles seraient à l’inverse plus fréquentes chez les musiciens, les musiciennes et les gens passionnés de musique en général.
Cette musique intérieure, c’est […] un rêve éveillé qui berce notre conscience.
Nicolas Farrugia
Enfin, il semblerait que la tendance à plus ou moins bien vivre ces boucles lyriques serait liée au rapport que nous entretenons avec la musique et de la structure même de notre cerveau (oui, encore). Et, de par ma propre expérience, j’ajouterai que cette réception est aussi liée au morceau qui a décidé de devenir la bande originale de votre journée. Que celui ou celle qui n’aura pas vrillé après 24 heures de *nouma nouma iei, nouma nouma nouma iei* me contredise maintenant ou qu’iel se taise à jamais. *Maia hi, maia hou, maia ha, maia ha-ha*.

*Allô ! A-allô ?*
Chanson Velcro en détresse : techniques de survie en milieu intérieur hostile
C’est bon, vous n’en pouvez plus *elle n’en sort plus de votre mémoire, ni la nuit, ni le jour* : vous allez vous débarrasser pour de bon de cette insupportable rengaine mentale. Que cela vienne de résultats de recherche ou de conseils avisés de personnes qui passent leur existence avec une discothèque dans la tête, voici quelques propositions à tester.
- Chanter ou écouter la chanson en entier.
- La remplacer par un autre morceau en l’écoutant ou en l’imaginant. Au Royaume-Uni, il a été rapporté de bons résultats en remplaçant le morceau par l’hymne anglais. Essayez donc avec la Marseillaise.
- Parler pourrait également vous en distraire, en stimulant votre circuit auditif. Profitez-en pour expliquer à tous les parents de votre entourage les dangers du sharenting !
- Buvez à la paille ou mâchez un chewing-gum (cette dernière proposition vient tout droit d’une étude que vous retrouverez dans les sources).
- Enfin, selon la docteure Ira Hyman : faire une activité cérébrale comme la lecture ou un casse-tête (anagramme…), serait aussi efficace dans certains cas.
Vous voilà à présent avec une belle liste de solutions à tester ! Pour les plus téméraires, je vous invite à chanter la chanson en entier, tout en en écoutant une autre, en mâchant un chewing-gum et en buvant une boisson à la paille. Et n’oubliez pas le sudoku.
Les vers d’oreille sont une forme d’imagerie cérébrale musicale dite “involontaire” car nous n’en avons pas le contrôle. Ils n’ont rien à voir avec des perce-oreilles, et encore moins avec des vers. Ils apparaissent pour plein de motifs différents, et il n’est pas toujours possible d’expliquer pourquoi vous avez cette boucle en particulier en tête, même si certaines semblent universelles.
Que vous aimiez ou non ces musiques intérieures incessantes, elles sont le reflet de notre identité, de notre histoire et même d’un fonctionnement cérébral qui nous est propre. Pour ma part, je les adore et les cultive car elles m’apportent de la joie au quotidien : j’espère avoir réussi à vous partager ma fascination pour ces boucles mélodiques. Allez, à votre tour maintenant, partagez-moi vos chansons velcro les plus collantes ! J’ai hâte de les lire !

- Une interview de Nicolas Farrugia
- Une passionnante conférence musicale de Nicolas Farrugia : « musique intérieure »
- Un article traduit du Guardian, pour aller plus loin
- L’article que j’aurai voulu *ohoho quelque chose de bien* écrire, pour aller encore plus loin
- Un article qui cite la solution de la docteure Ira Hyman pour se débarrasser d’un earworm
- Nicolas Farrugia, Tunes stuck in your brain: The frequency and affective evaluation of involuntary musical imagery correlate with cortical structure, 2015
- Lassi A. Liikkanen, How the mind is easily hooked on musical imagery, 2009
- Andréane McNally-Gagnon, Imagerie Musicale Involontaire : catégories phénoménologiques et mnésiques, 2015
- C. Philip Beaman, Want to block earworms from conscious awareness? B(u)y gum!, 2015
- Image de couverture : image générée par ideogram
- Image 1 : capture d’écran de l’exquise boucle entêtante de Baby Shark
- Image 2 : capture d’écran de l’irremplaçable chef d’œuvre musical du groupe O-zone
Merci Aude ! Très intéressant cet article ! Avec un enfant de trois ans à la maison je te laisse imaginer la liste infernale de mes vers d’oreille (je confirme la tendance DemonLord de baby shark 🤯) et en prime, très souvent, je remixe les comptines sur un autre tempo, c’est grave docteur ? 😂
Je pense que je dois faire ça aussi quand j’en peux plus d’une boucle ;). Et encore, je n’ai pas cité beaucoup de comptines mais l’humanité n’était pas prête pour un tel pouvoir. MAMAN LES P’TITS BATEAUX, QUI VONT SUR L’EAU, ONT-ILS DES JAAAAAAAAMBEUHS ??
Du grand SalbeT cet article ! Mention spéciale pour la dédicace à Mano Solo dans les sources. Ses chansons balaient d’un geste les vers d’oreille cités, la Marseillaise et God Save the Queen 🙂
Le pire quand tu y réfléchis, c’est la force d’un bon ver d’oreille, même vieux ! C’est mon ex-copain qui écoutait Mano Solo, ça doit faire 15 ans que je ne l’écoute plus. Et pourtant, il est encore là, j’ai juste à prononcer « j’aurai voulu » et bim il passe la tête dans l’encadrement de la porte de mon cerveau : « coucou, tu m’as appelée ? » ! La puissance du truc ! « J’aurai voulu ! Tadadam, Ohoh, Quelque chose de bien, j’aurai voulu, tadadam, ohoho, que tu me dises viens »…
Super cet article ! J’adore ton humour et c’est vraiment facile à lire. J’ai une chanson de lover ultra cliché qui reste toujours coincé dans ma tête c’est : » Say something, i’m giving up on youuu » de A Great Big Word et Christina Aguilera. Et pourtant je ne suis ni en plein chagrin ou en rupture mais ce refrain ! Arrrghhh!! Faudrait analyser ça tiens…🧐 « dis moi quel est ton morceau de verre d’oreille et je te dirai qui tu es «
Oooow merci c’est trop mignon <3. C'est tout à fait vrai que nos vers d'oreille nous représentent un peu (même si je n'ai pas envie de penser que mon identité contient Baby Shark ou Dragostea din tei OMG). Ce qui serait intéressant aussi, c'est de voir quels sont les déclencheurs de la boucle dans ta tête : un moment ? Un mot ? Une personne ? 🙂