Un de vos potes a stalké une personne random sur les réseaux ? Votre patron vous demande de checker vos mails ? On vous accuse d’avoir fait une story un peu cringe ? Avec la mondialisation et un usage massif de l’anglais, la France n’échappe pas à l’invasion des anglicismes. J’entends d’ici le cri du cœur des puristes qui alertent sur l’extinction de la langue de Molière. Pas de panique ! Voyons ici si l’utilisation des anglicismes menace vraiment la langue française.
Des échanges linguistiques permanents entre le français et l’anglais
Du vocabulaire français dans la langue de Shakespeare
En 1066, pendant la bataille d’Hastings, Guillaume le Conquérant terrasse le roi anglo-saxon Harold Godwinson. Le duc de Normandie coiffe alors la couronne à Westminster. Il impose sa cour, ses règles et sa langue à tout le royaume. Le français est alors employé par les membres de l’aristocratie de la cour royale. Parler ce langage devient le signe d’un niveau élevé dans la société britannique. Cette langue prestigieuse, et considérée comme internationale, est utilisée dans l’éducation, pour faire du commerce, de l’administration, travailler dans les douanes, prier, etc. Vers le début du XVème siècle, la langue anglaise reprend le pouvoir mais elle garde beaucoup de vocables empruntés aux Normands.
L’anglais ce n’est jamais que du français mal prononcé.
Georges Clémenceau
C’est le cas par exemple pour le mot bachelier qui, au Moyen-Âge, désigne un homme non-marié dans le français juridique. Il deviendra bachelor dans la langue de Shakespeare pour nommer un célibataire. To catch (attraper) provient du vieux français cachier (capturer un animal). La couronne est devenue the crown et une chaise, a chair, etc. Aujourd’hui on compte environ 60 % de mots venus de l’Hexagone dans le dictionnaire anglais.
Le va-et-vient incessant des mots entre la France et l’Angleterre
La plupart des termes que nous pensons être des anglicismes sont en fait de vieux mots français. Après un voyage en Angleterre, ils prennent parfois un sens nouveau puis sont ré-empruntés en France. Voici quelques exemples qui vont probablement vous surprendre :
- La « bougette », petit sac de cuir dans lequel on transportait son argent (et donc par métonymie, le crédit dont on dispose) est devenu le budget.
- Le « chalenge » ou « chalonge », en vieux français signifiait un défi, une provocation.
- Le ticket est issu du mot « étiquet » qui était un billet de témoignage écrit.
- Flirter tient son origine du mot « fleureter » (dont on tire également la locution “conter fleurette”).
- Spoiler vient du verbe « espoiller » qui voulait dire « dépouiller » (on arrache à notre victime le plaisir de découvrir la fin)
- etc.
À contrario, notre élégante « redingote » est un terme emprunté à nos voisins British (a riding coat est un manteau utilisé pour monter à cheval) Les exemples sont nombreux. Les échanges entre ces deux langues ne cessent d’enrichir le vocabulaire de l’une comme de l’autre. Les anglicismes ne seraient donc qu’une simple évolution du langage ?
Proposer des équivalents en français pour lutter contre la menace des anglicismes
Le grand remplacement des emprunts par des termes francisés
L’Académie française, fondée en 1635 par Richelieu, exige un usage pur et uniformisé de la langue. Inutile de préciser que, de nos jours, l’utilisation du franglais ne fait pas l’unanimité dans cet aréopage. Il dénature notre grammaire. Notre vocabulaire est assez riche et précis pour ne pas avoir à utiliser des mots outre-Manche. Haro sur les anglicismes ! En 1996, la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF) est créée. En lien avec l’Académie, sa mission principale est de proposer des termes nouveaux afin de remplacer les emprunts britanniques par des équivalents en français. Tremblez vils détracteurs de la langue de Voltaire !
Florilège de leurs propositions :
- « BalladoDiffusion » pour les podcasts ;
- « divulgâcher » pour remplacer spoiler ;
- « coup d’effroi » pour le suspense ;
- « service de rattrapage » pour le replay ;
- vous croyez avoir tout vu ? accrochez-vous bien, je vous ai gardé le meilleur pour la fin ;
- « jour de courage » pour le coming-out ;
- « acolyte des illustres » pour un follower.
- Liste non-exhaustive à consulter sur le site de l’Académie.
Les équivalents aux anglicismes sont parfois ignorés
Suggérer un équivalent en français n’est pas toujours une bonne idée. S’il est proposé tardivement et que l’emploi de l’anglicisme est déjà implanté, il paraît difficile de viser un usage courant pour le mot de remplacement. À la question « As-tu regardé le nouvel épisode de cette super série ? », pas sûr que vous ayez envie de répondre « Non, ne me le divulgâche pas ! Je préfère garder le coup d’effroi pour ce soir. Je vais le regarder sur le service de rattrapage. »
Concernant le coming out, la communauté LGBTQ+ a déjà substitué l’emprunt par l’expression « sortir du placard ». « Jour de courage » est donc vivement critiqué sur les réseaux et n’est pas du tout employé par les personnes concernées. En revanche, dans les années 90, le mot « baladeur » a très bien remplacé le walkman. Idem pour le terme « infolettre », venu tout droit de nos amis francophones canadiens, qui cohabite très bien avec la newsletter.
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L’attachement de la langue de Molière, comme une entité figée, n’existe pas. On ne peut pas la mettre sous cloche pour la protéger. Elle doit être replacée dans son contexte historique et soumise à une analyse critique de son évolution dans le temps. Le langage est une pratique sociale en mouvement constant. La langue française n’est pas l’apanage de l’Académie ni d’un quelconque aréopage. Elle appartient à ses locuteurs et locutrices ! Les frontières linguistiques sont floues et évoluent sans cesse. Les anglicismes ne menacent pas le français. C’est un échange naturel entre les cultures francophones et anglophones, alors continuez de faire voyager les mots et de rendre les langues vivantes.
- L’incroyable histoire des mots français en anglais, Anthony Lacoudre
- La story de la langue française, ce que le français doit à l’anglais et vice-versa, Jean Pruvost, Ed. Tallandier.
- Honni soit qui mal y pense, Henriette Walter, Ed. Robert Laffont.
- Romanesque, Lorant Deutsch
- Tract des linguistes atterré-e-s , Le français va très bien, merci !, 2023
- L’anglicismes dans la langue française, Social sciences and humanities, 2019
J’adore « balladodiffusion » je vais m’amuser à le réutiliser 🙂