Ponts naturels : les passerelles de racines vivantes en Inde

Embarquez aujourd’hui dans la « demeure des nuages », traduction sanskrite du nom de l’état du nord-est de l’inde : le Meghalaya. Entre Assam et Bangladesh résident les Khasis : tribu qui s’est fait connaître à travers les frontières grâce à leurs ponts naturels vivants, formés avec les racines aériennes de figuiers à caoutchouc (ficus elastica). Exemple singulier d’une adaptation de l’être humain à son milieu de vie, plus d’une centaine de ponts végétaux témoignent, en plein cœur d’une forêt luxuriante, d’un savoir-faire impressionnant.

Temps de lecture : 5 min

Passerelles vivantes en Inde : origine, création et développement

Origine des ponts racines

Meghalaya, état Indien des ponts naturels vivants
En orange : état du Meghalaya – Open Street Map

Méthode ingénieuse qui permet aux populations de traverser les torrents tumultueux pour rejoindre les villages alentour, même durant les moussons. Les ponts racines, appelés « jing kieng jri » sont le résultat d’un savant assemblage entre les racines de deux arbres plantés sur chaque berge d’un cours d’eau.

L’origine de ce procédé reste un mystère. La première trace écrite témoignant de la création de ces ponts suspendus remonte au début du 19e siècle avec le « Journal of the Asiatic society of Bengal » du lieutenant écossais Henri Yule.

Cette méthode de tressage de racines aériennes est aussi pratiquée en Indonésie et existerait depuis plus de 500 ans. Le peuple Khasi tisse avec dextérité et délicatesses les racines des ficus machin depuis des décennies.

Le Meghalaya, l’une des zones les plus humides du monde, est propice au développement de ces espèces d’arbres. La moiteur ambiante permet également de rendre plus souples les racines et donc de faciliter leur enchevêtrement.

Création des ponts vivants

Entre 15 et 40 ans sont nécessaires pour rejoindre les deux rives d’un cours d’eau. Les ponts vivants nécessitent un entretien constant pour conserver les arbres en santé, et maintenir les racines entremêlées. Certaines de ces passerelles sont âgés de plusieurs centaines d’années.

Au fil du temps, les racines s’épaississent et se solidifient, ces ponts végétaux sont des structures pérennes qui défient la durée de vie des ponts conventionnels en béton ou en acier. Ils peuvent mesurer entre 4 et 76 mètres de long, et supporter le poids de 35 individus.

L’un des plus connus, le « Jingkieng Nongriat » ou « Double Decker » : pont à deux étages situé près du village de Cherrapunji existe depuis 180 ans et permet aux habitant.e.s de ce village isolé de conserver des passages accessibles.

Des méthodes ancestrales

Les Khasis utilisent différentes méthodes pour former la structure et commencer la création d’un pont racines :

  • Construction à la main en manipulant au fur et à mesure le ficus elastica.
  • Utilisation d’échafaudages en bois ou en bambou pour guider les racines. Le matériau pétrissable finira par pourrir pour disparaître et laisser place au tressage végétal qui aura eu le temps de grossir.
  • Usage de troncs d’aréquiers (une sorte de palmier) au travers desquels sont dirigées les racines jusqu’à l’autre rive.
  • Les jeunes racines peuvent être également conduites sur des architectures conventionnelles déjà présentes (pont à suspension en fil d’acier par exemple). Ainsi, le passage est déjà possible en attendant que les racines poussent, et le pont vivant prendra le relai lorsque la structure préexistante commencera à se détériorer.

Une fois le pont prêt à être utilisé, les racines sont souvent protégés à l’aide de planches de bois ou de pierres, pour éviter que les passages répétés n’endommagent le sol.

Ponts naturels du Meghalaya : mode de vie, tourisme et avenir

Terrains escarpés et moussons

Les conditions climatiques de cette région sont rudes. Les échanges entre les zones reculées de la forêt très complexe. Je me demande d’ailleurs si le peuple Khasi n’utilise pas un langage sifflé pour communiquer. Si quelqu’un.e à l’info, je suis preneuse !

ponts aériens naturels en racines

Franchir les différents obstacles, tels que rivières et torrents, n’est pas simple, encore moins en période de mousson où le niveau de l’eau peut drastiquement monter. Les Khasis ont su s’adapter à leur environnement en créant des réseaux de sentiers et de ponts.

Les passerelles ne sont pas les seules structures édifiées avec cette méthode de tressage : des échelles et des plates-formes suivent ce modèle de fabrication. Des gradins ont même été construits avec les racines aériennes de caoutchouc.

Le village de Nongriat, composé de 200 habitants et habitantes, est accessible par un escalier de 3 500 marches. Ces dernières vous font monter 700 mètres de dénivelé : la visite de ces lieux n’est pas aisée. L’augmentation du passage sur ces passerelles engendre une dégradation plus rapide des structures. Le savoir-faire se perd petit à petit, alors que la popularité des ponts vivants va grandissant. Les politiques de développement territoriales améliorent l’accessibilité de la zone, en créant des routes, par exemple. Certes, les locaux profitent de ces infrastructures, mais ces dernières apportent leurs lots d’impacts négatifs.

Tourisme et surfréquentation

Les passerelles en racines tressées attire une masse de touristes (indiens et étrangers). Ce flot continu apporte d’une part un appui à l’économie locale, d’autre part son lot de conséquences négatives :

  • Avec les nouvelles infrastructures, les nouvelles générations ne perçoivent plus les passerelles comme seules solutions pour se déplacer. Les ponts vivants n’ont plus la même utilité pratique et le savoir-faire se perd petit à petit.
  • L’augmentation de la fréquentation des ponts naturels accélère leur détérioration. Qui devient plus rapide que la croissance des racines aériennes.

Et c’est comme cela que le monde se retrouve (à nouveau) à marcher sur la tête : construire des structures en béton pour soutenir les passerelles…

En 2018 la Living Bridge Foundation (LBF: fondation des ponts vivants) est créée. L’objectif est de sensibiliser la communauté Khasi à l’importance de perpétuer la transmission de la technique des ponts naturels auprès des jeunes générations. Un point d’honneur est également mis sur la réhabilitation des ponts existants et à l’abandon.

Les ponts vivants ne sont plus de moyens de survivre en conservant un contact avec le reste du monde, mais une solution de subsistance grâce au tourisme. Chaque année des milliers de personnes vient découvrir ces œuvres qui témoignent d’un lien unique entre l’humain et la nature.

De nouveaux métiers se développent : maison d’hôtes, guides, artisans et restaurateurs émergent dans les villages du Meghalaya. La LBF soutient ce développement en aidant les populations locales à déterminer la capacité d’accueil de chaque village. L’afflux touristique est ainsi mieux géré et l’érosion des ponts, contrôlée.

Les ponts naturels, tressés en racines de ficus elastica sont des réels chef d’œuvre qui attirent de nombreux curieux. Comme souvent, le tourisme apporte son lot de problématiques. La sur fréquentation et l’érosion accélérée des ponts vivants du Meghalaya en sont un exemple parmi beaucoup d’autre. Il est difficile de trouver le bon équilibre entre la découverte du monde qui nous entoure et le respect de notre environnement. Tissez des ponts avec vos ami.e.s fans de voyages et de découvertes et partagez leur cet article.

Baladeur Dramalibre, les sources

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O'noun

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Pendant que vous lisez ses articles, elle fait un gâteau en écoutant du métal (ou Mano Solo), admire la nature qui l’entoure, ou sieste avec son chat devant un documentaire.
Voilà. Vous en savez déjà trop.

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